Dark Patterns, design trompeurs : quand le web nous manipule
Vous avez déjà été confronté.e à des Dark Patterns sans le savoir. Aujourd’hui renommés« deceptive designs », ou designs trompeurs, ces procédés manipulent le comportement d’un utilisateur sur un site web ou une application mobile.
Je me suis moi-même fait avoir à plusieurs reprises, car certains dark patterns sont très bien dissimulés.
Vous savez, cette newsletter qui arrive dans votre boîte mails dans savoir quand vous vous y êtes abonné.e ? Ou cette offre d’essai gratuite qui se transforme en abonnement payant sans que vous en soyez informé.e ? Quand ce n’est pas ce pop-up qui débarque sur une page et que vous n’arrivez pas à fermer ?
Il ne s’agit pas d’erreurs, mais bien de design trompeur. Il est donc important de les repérer pour mieux les éviter.
Dark Patterns : l'art de créer la confusion chez les utilisateurs web
De quoi parle-t-on exactement ?
On peut rapprocher les Dark Patterns de techniques marketing plus traditionnelles bien connues, qui s’appuient sur les biais cognitifs du consommateur. Les techniques du « prix psychologique » à X,99 euros en font partie, tout comme les packs économiques pas forcément plus avantageux quand on fait le calcul.
Dans les faits, ces designs trompeurs vont utiliser ces méthodes marketing en les adaptant aux supports web. Ainsi, ces astuces douteuses vont orienter les comportements utilisateurs afin de :
- Récupérer des données personnelles (type e-mail, adresse, numéro de téléphone, etc.)
- Augmenter le trafic de visiteurs sur un site ou le taux de clic sur une publicité
- Faire grossir le panier moyen d’une commande
Les Dark Patterns, nouveau fléau du web ?
Il ne s’agit pas d’un phénomène récent, puisque dès 2010, Harry Brignull, un expert en design d’interfaces numériques, va répertorier ces procédés et les décrypter. Aujourd’hui, de nombreux sites web les utilisent, notamment des sites très populaires. Selon une étude de 2019 réalisée par l’Université de Princeton, 11,1% des sites d’achat en ligne utilisaient des Dark Patterns (résultats obtenus à partir de l’analyse de 11 000 sites web).
Le Dark Pattern, ou Deceptive Design, est donc l’utilisation de l’UX design dans un but purement commercial, même s’il est au détriment de l’expérience utilisateur, et frôle l’illégalité. Une pratique à bannir si vous souhaitez créer une relation de confiance avec vos futurs partenaires, clients ou collaborateurs.
Créer une expérience utilisateur fluide et simplifiée peut être un véritable atout pour votre activité, à condition de respecter une éthique et une transparence dans vos choix de design et de communication. Un discours clair et bienveillant renforcera votre image et le rapport qu'entretiendront les utilisateurs avec votre produit ou vos services.
Repérer les Dark Patterns pour mieux les éviter
Harry Brignull a identifié 12 types de designs trompeurs. en voici quelques uns, que vous avez très probablement déjà rencontrés.
🙈 Les frais cachés - Hidden Costs
Oups, on a oublié de mentionner les frais de livraison, de dossier, et d'inscription !
Un dark pattern chouchou des sites e-commerce ! L’utilisateur va sélectionner un produit ou un service à acheter en ligne. Seulement, ce n’est qu’à la finalisation de la commande que d’autres coûts viennent s’ajouter, comme des frais d’expédition ou de réservation, et qui rallongent la note très rapidement !
🚀 Les publicités déguisées - Disguised Ads
Le bouton surprise qui vous emmène vers l'infini et au de là
Il arrive que des boutons ou des liens cliquables s’ouvrent sur un contenu bien différent de ce à quoi l’utilisateur s’attendait. À moins de tomber sur une page d’erreur 404, il s’agit bien d’une publicité cachée !
Ce procédé est particulièrement utilisé par les sites de streaming ou on va trouver de nombreux boutons pour lire une vidéo. Les sites de téléchargement ne sont pas en reste, avec une multitude de liens dont la plupart vont conduire à l’ouverture d’une publicité invasive.
🕑 Le sentiment d'urgence - Fake Emergency
Machin et Truc Muche consultent la même offre que vous, réservez vite !
Une technique dont raffolent les sites de réservation en ligne, comme les logements touristiques ou les billets d’avion. Une petite notification va subtilement signaler qu’il ne reste plus qu’une chambre à ce prix, et que 10 internautes sont en train de consulter la même que vous. Un compte à rebours peut aussi se déclencher sur une page pour vous presser de finaliser l’action. Le but ? Jouer sur la peur de rater une bonne affaire, et la fausse satisfaction de l’avoir obtenue juste à temps !
Sur le screenshot que j’ai réalisé ci-dessous, sur un site bien connu de réservation en ligne, on trouve pas moins de 4 messages destinés à presser le visiteur pour réserver.
🙄 L'abonnement perpétuel - Forced Continuity
Zut, on aurait oublié de vous rappeler la fin de votre période d'essai gratuite ?
On vous a proposé de tester un service durant un mois, gratuitement et -à priori- sans contrepartie, c’est chouette non ? Ça l’est beaucoup moins quand à la fin du mois, votre compte est débité automatiquement sans aucune notification préalable. Quand bien même vous souhaitez y remédier dès que vous vous en apercevez, vous devrez batailler pour être remboursé.e. ou pour vous désabonner.
🧲 L'hôtel à cafards - Roach Motel
Vous souhaitez fermer votre compte ? D'accord, mais il vous faudra un tutoriel !
Rien que le nom n’annonce rien de bon ! Concrètement, on parle d’un service pour lequel il est très rapide de s’inscrire mais qu’il va être très difficile de quitter : informations bien dissimulées dans une sous-page de sous-page du site, formulaire à imprimer et à renvoyer par la poste (Si, si !), page de service client non traduite,… Tous les moyens sont bons pour vous décourager ou remettre au lendemain cette démarche compliquée et chronophage.
Heureusement, il y aura toujours des internautes bienfaisant.es qui prendront le temps d’apporter de l’aide sur des forums. Ou carrément, en créant des tutoriels pour résilier un compte ! Mais c’est un non-sens total pour des entreprises qui se targuent de faire de l’utilisateur une priorité.
😳 Le message culpabilisant - Confirmshaming
Vous êtes libres de refuser, mais on vous jugera un peu quand même...
Il s’agit ici d’un message formulé précisément pour culpabiliser l’utilisateur et le faire douter de son choix. Ils apparaissent généralement au moment de décliner une option ou de refuser d’adhérer à un service. Plaisanterie, pathos, sarcasme… le « confirmshaming » peut prendre de nombreuses formes, du moment qu’il provoque une réaction chez l’utilisateur.
En voici un exemple parfait déniché sur le compte Twitter @DarkPatterns, destiné à culpabiliser les propriétaires de chats qui ne souhaitent pas s’abonner à une newsletter.
Traduction :
« Vous ne savez pas quoi donner à manger à votre chat ? » L’option 1 (bien, bien, bien en évidence) : souscrire à la newsletter. L’option 2 (quasiment illisible) : « Non merci, je me fiche de ce que mon chat mange ».
🧐 La vie privé à l'ère Zuckerberg - Privacy Zuckering
Soyez les bienvenu.es et ramenez vos ami.es (et leurs données personnelles aussi)
Cette astuce tire son nom de Marc Zuckerberg, le patron de Facebook, vous l’aurez deviné. Son secret repose dans le fait d’emmener l’utilisateur à partager beaucoup plus de données personnelles qu’il ou elle souhaite. Par exemple, quand une application vous propose de vous connecter avec votre compte Facebook pour aller plus vite, ce n’est pas uniquement pour vous simplifier la vie. Cela permet de récupérer de très nombreuses infos personnelles dont le réseau social dispose grâce à votre compte.
Sauf si vous prenez le temps de dérouler les détails de l’inscription ou aller dans les paramétrages de votre application pour décocher manuellement une multitude d’options aux noms pas forcément déchiffrables (sinon c’est pas drôle…).
Pour exemple, la journaliste Judith Duportail avait demandé, par curiosité, de consulter l’ensemble de ses données personnelles liées à son compte Tinder. Elle a donc reçu un dossier de 800 pages… !!! Car si l’application de rencontre collecte d’elle même de nombreuses données sur ses utilisateurs, elle en récupère aussi grâce aux connections établies avec vos autres comptes comme Instagram, ou Spotify. Effrayant.
Cette liste de pratiques n'est pas exhaustive, je pourrais en énumérer bien d'autres. Qu'il s'agisse de manipuler par les messages douteux, les conditions ambigües, ou tout simplement le détournement de l'attention, les Dark Patterns sont partout sur le web. Cet article a surtout pour but de vous éclairer sur ces pratiques, afin d'être plus attentif pour vous même, et dans la façon dont vous pourriez construire votre site internet et son contenu.
Les Dark Patterns sont le contraire d'une communication éthique et responsable
Renforcez la confiance des utilisateurs dans les solutions numériques
Les premières cibles de pratiques abusives sont souvent les personnes qui n’ont pas l’expérience nécessaire sur le web pour appréhender ces pièges et s’en dépêtrer seules. On peut aussi mentionner les utilisateurs ne parlant pas anglais qui se retrouvent parfois vite perdus face à des foires à questions ou des services clients qui ne sont pas traduits.
Au delà de nuire à l’expérience utilisateur, le recours massif aux design trompeur génère de la déception et de la défiance envers le numérique. Vous aurez beau tenter d’être irréprochables, tant que les grandes entreprises continueront ces pratiques sans être sanctionnées, d’autres suivront.
Changeons la donne !
Nous, auto-entrepreneurs, TPME, associations, pouvons à notre niveau contribuer à améliorer le web. Prenons nos responsabilités vis à vis des utilisateurs en général (nous en faisons partie après tout), mais aussi évidemment pour nos clients, nos prestataires, nos collaborateurs, nos partenaires…
Si cet article a permis de sensibiliser certain.e.s d’entre vous sur les Dark Patterns afin de les repérer et éviter de tomber dans leurs pièges, c’est déjà une excellente chose. Mais allons plus loin !
Favorisez la communication respectueuse et éthique
Le rôle des acteurs économiques
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